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Les Républicains, pompiers pyromanes

vendredi 26 mai 2023, par Roger Martelli

L’historien Roger Martelli déconstruit le projet des LR sur la question migratoire. Et rappelle les arguments pour que la gauche ne lâche pas le combat.

« Le parti Les Républicains montre les muscles sur l’immigration », nous dit Le Monde. L’organisation affaiblie veut faire monter les enchères face à une Macronie aux abois. Elle pense concurrencer le Rassemblement National en faisant un copier-coller de ses idées. Ce faisant, elle ment aux Français et fait le lit de Marine Le Pen.

 

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Les Républicains envisagent de déposer deux lois au Sénat, une ordinaire, l’autre constitutionnelle. La loi ordinaire vise à durcir la législation existante, en criminalisant un peu plus l’immigration illégale, en pénalisant le regroupement familial, en limitant l’immigration étudiante et en conditionnant l’aide au développement à l’organisation du retour des illégaux. Quant à la loi constitutionnelle, elle légitime le primat du droit français sur le droit international, veut rendre possible un référendum sur l’immigration et permettre au Parlement de fixer des quotas. Le parti se veut dans la continuité de la philosophie sarkozyste ; elle légitime un peu plus le fonds de commerce de l’extrême droite.

La droite des fake news

Un tout récent sondage d’Elabe suggère que la moitié des personnes interrogées surestiment le poids de l’immigration dans la population française. Alors que la part des immigrés oscille – selon les modes de calcul – entre un peu plus de 10% et moins de 12%, 39% la situent au-delà de 20%, dont 15% au-delà de 40% ! Les fake news à la Donald Trump sont devenus un outil politique universel pour orienter l’opinion. Pourquoi la France y échapperait-elle ? Dans l’arsenal idéologique de la droite française, on ne trouve qu’un seul fait avéré : l’immigration en France est un phénomène croissant. Pour le reste, tout est faux [1] :

  • la France n’est pas le pays le plus attractif d’Europe : en vingt ans, le nombre d’immigrés a augmenté de 62% dans le monde, de 58% en Europe occidentale et de 36% en France ;
  • dans les dernières années, la France n’a pas été le pays européen qui a le plus contribué à l’accueil des réfugiés, ni ceux du Moyen-Orient, ni ceux de la guerre en Ukraine. Compte tenu de sa population et de sa richesse, elle est loin de la « France généreuse » qui est théoriquement sa marque de fabrique ;
  • la France n’accueille pas toute la misère du monde. À l’échelle mondiale, les plus pauvres qui se déplacent vont vers les pays les plus pauvres et non pas vers les riches. Alors que les déplacements liés aux guerres et aux désastres climatiques explosent à l’échelle mondiale, les catégories qui contribuent le plus à l’augmentation française des titres de séjour sont les étudiants internationaux, les travailleurs qualifiés et les réfugiés connus et régularisés.
  • il n’y a aucun risque de « grand remplacement ». Seuls 5% des adultes ont quatre grands-parents nés étrangers à l’étranger. Pour les 25 à 28% qui ont entre un et trois grands-parents dans ce cas, la réalité est donc celle des unions mixtes, Cela confirme que nous restons dans la logique de ce métissage qui est en France la base de constitution du peuple et de la nation.

Les dangereux miroirs aux alouettes

La droite dans toutes ses composantes n’a que faire de la réalité, celle que révèlent inlassablement des études et enquêtes, tout aussi inlassablement renvoyées au « laxisme », à « l’angélisme » et au « politiquement correct ». Une seule chose lui importe : faire l’amalgame entre la croissance de l’immigration, l’inquiétude devant les violences internes et externes, le fantasme de l’islamisation et l’obsession de la « perte de l’identité ».

La droite classique vit dans la conviction qu’elle va casser la dynamique du Rassemblement national en se plaçant ouvertement sur son terrain et en n’hésitant pas à user des mêmes mots. Sarkozy n’avait-il pas laminé le « vieux » Jean-Marie Le Pen en 2007, en déployant son libéral-populisme « décomplexé », autoritaire et cocardier ? Force est alors de constater que, une fois élu, il a voulu pousser plus avant sa logique en lançant une grande campagne sur « l’identité française ». Son projet a fait long feu. En 2012, il a perdu, la gauche a gagné dans sa variante droitière et Marine Le Pen – qui a compris qu’il fallait changer pour continuer – a amorcé la dynamique que l’on connaît.

L’exécutif choisit la voie cynique. Le marché libre régule et l’État corrige, au double sens de la correction : la compensation à la marge et la répression. Aux Républicains qui proposent de s’abstraire de la loi européenne pour limiter de façon drastique l’immigration, la majorité macroniste s’insurge en lui reprochant de proposer un nouveau Brexit sans le dire. Elle a raison de dire que les clins d’œil au souverainisme sont un trompe-l’œil et une impasse. Elle a raison d’affirmer que le retour à la situation européenne d’avant 1958 serait un régression historique. Mais elle a tort de ne rien dire d’une politique des la frontière européenne qui vise à restreindre au maximum l’arrivée en Europe des flux de la détresse, à confier à des États, souvent douteux, la sélection des immigrés « recevables » (le système des hot-spots) et de sous-traiter le contrôle policier à une institution – l’agence Frontex – plus que critiquable dans ses données de référence comme dans ses méthodes. Vouloir défendre la réalité d’une Europe au-dessus des nations séparées est un chose ; la maintenir en l’état, y compris que le dossier migratoire, est une faute.

Dans les colonnes de Libération, le président Renaissance de la commission des affaires européennes de l’Assemblée, Pieyre-Alexandre Anglade, explique que l’objectif de la majorité est de soutenir une politique qui vise à « mieux contrôler les flux migratoires, expulser ceux qui n’ont rien à faire sur le territoire national, régulariser ceux qui contribuent à la vie de la Nation ». Les Républicains se coulent dans la logique de l’extrême droite, en espérant tarir les flux qui se portent vers le parti de Marine Le Pen. La majorité présidentielle accepte avec la droite la logique de la restriction des flux migratoires en en proposant une gestion « adoucie ». À l’arrivée, les uns et les autres entérinent la légitimité du projet de l’extrême droite et ne font que nourrir l’idée, attestée par les sondages, que Marine Le Pen est la mieux placée pour limiter le spectre du « grand remplacement ».

Il ne sert à rien de nier que, pour l’instant, l’extrême droite a gagné la bataille des idées sur le terrain de l’immigration. Elle a pu le faire parce que la droite a capitulé, notamment depuis le grand débat sarkozien sur « l’identité nationale ». Et on n’aura pas ici le mauvais esprit de rappeler que, trop longtemps, une partie de la gauche a eu des complaisances, avec l’idée que la souveraineté nationale était menacée, que la libre circulation était une idée libérale et que la frontière était une protection absolue.

L’honneur de la gauche

La gauche ne peut en aucun cas admettre les tenants et les aboutissants du projet et du discours de l’extrême droite. Que la droite et la macronie les entérinent, en en proposant une version théoriquement moins brutale, est une chose. La gauche, elle, doit tourner le dos définitivement aux demi-mesures, au « la droite pose de bonnes questions, mais offre de mauvaises réponses » ou au « « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Le discours franc sur la réalité des faits et le respect absolu des valeurs désignent la seule voie juste et réaliste.

  1. Le débat qui oppose la frontière-muraille et le no border n’est pas de saison. La frontière est une construction artificielle, mais elle est une réalité, la délimitation légale d’un espace de souveraineté, à l’intérieur duquel un État limité et contrôlé a un droit de régulation et où des individus ont des droits inaliénables, indépendamment de leur nationalité. Au-delà, l’image de la frontière infranchissable est un illusion. Au mieux, la frontière-muraille est une ligne Maginot : on sait quelle fut son efficacité en mai-juin 1940 !
  2. Dans la pratique, la frontière n’est rien d’autre qu’une fabrique à produire du clandestin. Juridiquement, la clandestinité est l’espace par excellence du non-droit. Sur le marché du travail, elle produit donc des travailleurs sans droits. Au fond, ce qui tire vers le bas la masse salariale, ce n’est pas tant l’immigré que le clandestin sans droits. À l’échelle planétaire, où règne la concurrence « libre et non faussée », ce ne sont pas les mouvements migratoires qui augmentent la rentabilité du capital en baissant la valeur globale de la force de travail. C’est au contraire le maintien sur place d’une population à faible revenus, dont la mondialisation telle qu’elle est fait une armée de réserve, souvent qualifiée mais de faible coût. Ce faisant, l’insertion du clandestin par la régularisation et l’accès au droit est la meilleure façon de travailler à tirer vers le haut la condition salariale en général et pas seulement celle des immigrés.
  3. En vingt ans, la part des immigrés dans le monde a augmenté de près des deux tiers. Le mouvement ne se tarira pas dans les décennies à venir. Même si de nombreux pays du Sud connaîtront un développement plus ou moins soutenu, à l’instar de la Chine ou de l’Inde, cela n’empêchera pas que les dérèglements climatiques et les guerres augmenteront la part des réfugiés. Cela n’empêchera pas que, partout, pays plus ou moins riches ou plus ou moins pauvres, une part de la population la moins démunie ira chercher une vie meilleure dans les pays les plus riches, tandis qu’une part des plus démunis chercheront la survie dans des pays un peu moins pauvres. Quand on sait que l’essentiel des déplacements des pauvres se font aujourd’hui vers le Sud, est-ce l’intérêt bien compris des pays du Nord que d’aggraver un peu plus les difficultés de ceux qui les cumulent déjà ? Au-delà même de la pourtant nécessaire morale, n’est-ce pas courir le risque d’un accroissement des inégalités, du ressentiment et, partant, de la violence et de l’instabilité mondiale ?
  4. Si la migration est un fait inéluctable : s’en protéger est au mieux un illusion, au pire un facteur de régression matérielle, morale et politique. Il n’y a pas d’autre solution que de s’y adapter. Et pour s’adapter en évitant le pire (le repliement sur soi excluant et cloisonnant), la seule option est le partage de la souveraineté sur la base de l’affirmation du droit et de la citoyenneté, le partage et la préservation des ressources en mettant en valeur les biens communs, l’affirmation d’une universalité qui ne s’accommoderait plus ni de l’uniformité, ni de l’hégémonie, ni du repli sur soi de communautés obstinément fermées.

Dans tous les cas, l’obsession de la protection et le fantasme de la clôture sont des carburants pour une aggravation des frustrations, des inquiétudes et du ressentiment généralisé. Dans un monde de plus en plus instable, la « souveraineté historique » sera un bien piètre rempart et la « continuité nationale » de la France un formidable miroir aux alouettes. Sous pression de l’extrême droite, la droite dite de gouvernement et la macronie s’apprêtent à intérioriser un recul de civilisation. La gauche doit donc relever le gant. Convenons que, si la tâche n’est pas insurmontable, elle est aujourd’hui redoutable.

 

Roger Martelli

Portfolio


[1On ne peut, sur ce point, que conseiller la lecture du nouvel essai de François Héran, Immigration : le grand déni (Seuil, 2023)

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