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Réforme des retraites : les arguments fallacieux d’Emmanuel Macron
lundi 12 décembre 2022, par
Jour après jour, pied à pied, notre chroniqueur Bernard Marx ne laisse rien passer à Emmanuel Macron. Non, la réforme des retraites n’aura rien d’une réforme de justice et d’équité !
Emmanuel Macron a repoussé la présentation de la réforme des retraites, prévue le 15 décembre, au 10 janvier. Craintes de la colère qu’un si mauvais cadeau soit si massivement déposé au pied du sapin, et juste le temps de vérifier que le LR d’Éric Ciotti ne censurera pas le 49.3 qui seul permettra de faire adopter cette réforme au Parlement.
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Mais avant même le 15 décembre, Élisabeth Borne, ses ministres Dussopt et Guérini, et Emmanuel Macron lui-même ont commencé à se répandre en petites phrases et en interviews. Ils confirment ce qu’on savait déjà : la réforme Macron consistera pour l’essentiel à passer l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 – ou plus vraisemblablement 65 ans – en le repoussant de quatre mois par an à partir de 2023. Les régimes spéciaux (industries électriques et gazières, RATP, SNCF, Banque de France, Opéra de Paris, parlementaires) seront progressivement éteints. Les nouveaux recrutés seront affiliés au régime général du privé. La réforme s’appliquera aux salariés de la fonction publique dont le régime spécifique sera maintenu.
Dans l’immédiat, les petites phrases du Président et de ses ministres visent à justifier une réforme massivement rejetée par la population. La survie d’un système de retraite par répartition auxquels les Français sont très légitimement attachés est l’argument numéro 1. Sur TF1, samedi 3 décembre, Emmanuel Macron a ainsi affirmé : « Oui, nous devons faire cette réforme […] Si on ne la fait pas, on laisse le système de retraites par répartition en danger. Les besoins de financements sont massifs, ils vont continuer de s’accroître dans les prochaines années. Le seul levier que nous avons, c’est de travailler un peu plus longtemps ».
Grâce à cet argent économisé et au travail supplémentaire de celles et ceux dont la retraite sera retardée, nous pourrons réaliser nos objectifs de protection contre l’inflation, de réindustrialisation, de transition écologique, de développement des services publics tout en baissant les impôts et sans augmenter la dette. C’est l’argument numéro 2. C’est ce qu’a affirmé Emmanuel le 4 décembre dans Le Parisien [1] : « Nous dépensons de l’argent pour protéger le pouvoir d’achat des Français contre l’inflation. Nous dépensons de l’argent pour transformer et investir dans la France de 2030, par une réindustrialisation et tenir nos engagements climatiques. Nous dépensons de l’argent pour développer nos grands services publics, Intérieur, justice, école, santé... Et tout cela, j’ai pris l’engagement de ne pas le financer par des impôts, que je veux au contraire baisser. Tout comme je ne le financerai pas davantage par de la dette, on est déjà l’un des pays qui a la plus élevée. Donc il faut le financer par plus de création de richesse et la richesse est créée par le travail. C’est tout le sens de la priorité accordée au travail que ce soit à travers la réforme des retraites, de l’assurance chômage, des lycées professionnels, du service public de l’emploi… Nous avons un potentiel considérable de richesse par notre travail ».
On fera ça dans « la justice et l’équité ». C’est l’argument numéro 3. Dans la même interview, Emmanuel Macron explique : « Personne ne se réjouit de travailler un peu plus longtemps mais pour ne pas baisser les retraites et reporter de nouvelles charges sur nos enfants, il faudra faire un effort, progressivement et en tenant compte des parcours de chacun : carrières longues, pénibilité des métiers. Il est hors de question par ailleurs de baisser le niveau des pensions. Je veux au contraire augmenter la retraite minimum et améliorer les petites retraites. La réforme des retraites est donc aussi une réforme de justice et d’équité ».
Ces arguments sont fallacieux
Leur réfutation n’est pas inutile à l’heure où démarre cette nouvelle bataille des retraites [2].
Une réforme pour sauver le système par répartition ?
Le système de retraite français n’est pas en danger. Il est financièrement équilibré en 2021. Il sera excédentaire en 2022. Le Conseil d’orientation des retraites (COR), organisme indépendant d’expertise et de prévision, placé auprès de la Première ministre, prévoit d’ici à 2032 un déficit entre 0,5 et 0,8 point de PIB soit de l’ordre de 10 milliards d’euros par an. Sur la période 2021 à 2027 la part des dépenses de retraite dans le PIB serait stable et légèrement inférieure à 14%. Elle pourrait augmenter à 14,2 voire 14,7% entre 2028 et 2032. Par la suite et jusqu’en 2070, cette part serait stable ou en baisse malgré le vieillissement de la population. La conclusion du COR est sans appel : « Les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite » [3].
Le déficit prévu pour les années 2022 à 2032 est dû à la politique économique du gouvernement. Ce ne sont pas les dépenses qui augmentent trop vite mais les recettes qui sont pénalisées. Par les économies sur les emplois et la masse salariale dans la fonction publique, et par la politique salariale qui cherche à limiter au maximum la hausse des salaires avec les boucliers tarifaires et les primes non soumises à cotisation retraite.
Les prévisions économiques sont fragiles. Le gouvernement a accru cette fragilité en imposant un cadrage irréaliste avec un taux de chômage qui, grâce à sa politique baisserait à 5% d’ici à 2027. Ce qui est si peu fiable que le COR refait passer ce taux à 7% par la suite. L’incertitude est grande sur les hypothèses économiques des prochaines années. Une récession en 2023 est probable. Sa durée et son ampleur dépendront fortement des politiques économiques et monétaires. Repousser l’âge de la retraite dans une telle situation conduirait sans doute à aggraver le chômage, la pression à la baisse du pouvoir d’achat et in fine la spirale récessive [4].
Le seul levier possible pour équilibrer le système ?
D’autres solutions que l’âge de départ peuvent permettre d’équilibrer le système de retraite. L’économiste Michaël Zemmour en évoque cinq : revenir sur les exonérations de cotisations les plus inutiles ; soumettre l’épargne salariale à cotisations retraite ; ralentir le remboursement de la dette sociale ; revenir sur la baisse de la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Cette seule mesure rapporterait 8 milliards par an dès 2024 ; et même augmenter les cotisations de 0,8 point d’ici à 2027. Ce qui rapporterait 12 milliards d’euros. Et l’économiste Gilles Raveaud souligne de son côté l’importance des fonds de réserve des retraites et des retraites complémentaires (150 milliards).
Économiser sur les retraites pour baisser les impôts et financer les dépenses publiques pour la réindustrialisation, les engagements climatiques, restaurer l’école, la santé, la justice… ?
Les dépenses de retraites sont officiellement classées dans les dépenses publiques. Le gouvernement veut imposer une politique d’austérité budgétaire pour toute la période 2022 à 2027. C’est selon lui le moyen de revenir à l’équilibre budgétaire. Et tout cela en baissant les impôts sur les revenus des entreprises et sur les catégories sociales les plus favorisées. Cela commence avec le budget 2023 qui sera le 2ème budget le plus austéritaire des 20 dernières années. Il a programmé sur la période 2022-2027 une croissance annuelle moyenne des dépenses publiques de 0,6% en volume, inférieure à la croissance prévue du PIB. Les économies réalisées sur le recul progressif de l’âge de la retraite durant cette période ne feront pas sortir de la pénurie et de l’insuffisance les dépenses publiques qui seraient nécessaires pour tenir les engagements climatiques, restaurer la qualité des services publics pour tous, réaliser une véritable réindustrialisation.
L’économiste Patrick Artus, lui-même, souligne qu’au niveau de la zone euro « pour assurer la transition énergétique (l’équivalent d’au moins 4% du PIB, dont seulement la moitié est actuellement financée), pour rattraper son retard de recherche-développement (plus d’un point de PIB pour atteindre le niveau des États-Unis), pour investir dans la santé et l’éducation. On peut estimer qu’il manque environ quatre points de PIB de dépenses publiques pour honorer ces dépenses nécessaires au-delà de ce qui est déjà engagé ». Cela vaut sans doute aussi pour la France. Ce n’est pas la réforme des retraites qui permettra de le réaliser. Ni non plus la baisse des impôts. Au contraire. Si l’on ne veut pas renoncer à des investissements nécessaires, notamment dans la transition énergétique, il n’y a pas explique-t-il d’autre véritable option que financer « des dépenses publiques élevées soit par une taxe inflationniste, soit par de vrais impôts ».
Repousser l’âge de la retraite va permettre d’augmenter le travail des seniors et donc de produire plus de richesses ?
Il faut reconnaître aux arguments d’Emmanuel Macron le mérite de la franchise et de la clarté. La retraite à 65 ans, cela va avec la réforme du chômage et la réforme des lycées professionnels. Le but est le même : obtenir plus de travail en le payant moins. Et pour cela augmenter la pression de la précarité et de la concurrence sur le marché de l’emploi. En prime, nous avons même la reconnaissance, si non l’aveu, que c’est le travail qui créée les richesses. En même temps on est toujours dans le ruissellement mais à partir du bas : le travail créateur de richesses oui, mais à condition qu’il soit rentable.
Le recul de l’âge légal de la retraite participe de la même politique de l’offre et de la compétitivité par la baisse des salaires réels. C’est une politique d’ancien régime. Elle ne répond ni aux enjeux immédiats de la conjoncture économique, ni aux enjeux de la transformation du système de production et de consommation.
Le recul de l’âge de la retraite permettra-t-il d’améliorer l’emploi des personnes âgées de plus de 55 ans qui est particulièrement bas en France [5] ? Les mesures spécifiques d’accompagnement envisagées par le gouvernement [6] sont faibles ou nocives comme la baisse de la durée maximale d’indemnisation des chômeurs de plus de 55 ans. La question de l’emploi des seniors doit être traitée à la racine par l’amélioration des conditions d’emploi, de travail et de formation durant toute la vie professionnelle. Et si elle était obtenue au détriment de l’emploi des autres, l’amélioration d’ensemble serait très limitée, au plan économique comme au plan social.
Une réforme juste et équitable qui tiendra compte des carrières longues et de la pénibilité des métiers ?
Yvan Ricordeau, le Monsieur Retraites de la CDFT, n’y croit pas lui-même. Le dispositif actuel carrière longue, explique Henri Sterdyniak, permet aux personnes qui ont travaillé au moins un an avant 20 ans et qui ont cotisé 42 années, de partir à la retraite à 60 ans. La réforme retarderait de deux ou trois ans leur âge de départ. Le dispositif actuel de prise en compte de la pénibilité, le compte personnel de prévention ne concerne que 12.000 bénéficiaires depuis sa création. Le gouvernement ne propose que de le modifier à la marge.
Augmenter la retraite minimum et améliorer les petites retraites ?
La principale mesure envisagée par le gouvernement consisterait à appliquer enfin une loi adoptée en 2003 selon laquelle la retraite minimum serait de 85% du SMIC… La mesure pourrait être appliquée à l’ensemble des retraités. Mais avec un retard équivalent au recul de l’âge de la retraite pour les nouveaux. Et cela ne concerne que les salariés ayant une carrière complète.
Les inégalités de retraites entre les femmes et les hommes restent considérables. Selon le COR, les pensions de droit direct sont en moyenne inférieures de 37%. La principale mesure de « justice et d’équité » du gouvernement en la matière serait de ne pas retarder à plus de 67 ans le droit à une pension à taux plein, qui concerne principalement les femmes.
Il est hors de question de baisser le niveau des pensions ?
Le Président joue sur les mots. Comme le souligne Henri Sterdyniak, « l’objectif d’un système de retraite doit être d’assurer que les actifs bénéficient d’un niveau de vie à la retraite équivalent à celui des personnes en activité, cela à partir d’un âge de départ à la retraite socialement déterminé, permettant de jouir d’une période en bonne santé ».
Le système des retraites français est l’un des plus généreux au monde, avec en règle générale un départ à 62 ans, une parité de niveau de vie entre actifs et retraités, un taux de pauvreté des retraités faible et une redistribution entre les hauts et les bas salaires.
Mais les différentes réformes menées sous les différents gouvernements conduisent à une dégradation progressive pour les retraités actuels et pour les retraités futurs. La diminution du pouvoir d’achat des pensions nettes pendant la retraite est sensible. Elle s’est accentuée sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron du fait de la sous indexation des pensions et de la hausse de la CSG. Et pour l’avenir, dans le cadre actuel, selon les différents scénarios du COR, la pension moyenne augmenterait certes plus que les prix, mais le niveau de vie relatif des retraités régresserait progressivement au niveau de celui des années 1980. Encore ne s’agit-il que d’une moyenne. Pour toute une partie de la population, le système de retraite ne réaliserait plus sa promesse. C’est cela qui devrait être mis en débat. Mais Emmanuel Macron qui veut imposer une nouvelle et grave régression, fera tout pour l’enterrer.
Portfolio
[1] Deux jours avant, c’est Élisabeth Borne qui était longuement interviewée par le même journal.
[2] Ces explications doivent beaucoup à des notes et analyses de Henri Sterdyniak, Michaël Zemmour et Eric Berr. À lire également le petit livre que François Ruffin vient de publier aux éditions Les Liens qui Libèrent : Le temps d’apprendre à vivre. La bataille des retraites.
[3] COR, rapport annuel, septembre 2022, page 9
[5] Dominique Seux, sur France Inter le 6 décembre, a prétendu débusquer la fake news selon laquelle « on entend souvent que la plupart des nouveaux retraités, ceux qui arrivent à la retraite, seraient en fait au chômage ». Triste méthode que de répandre, soi-même, une fake news pour mieux la combattre. Car personne ou presque ne prétend que la plupart des nouveaux retraités sont des chômeurs. L’éditorialiste donne lui-même le chiffre de 63% de nouveaux retraités qui étaient en situation d’emploi au moment de partir en retraite. Cela veut dire que 37% ne l’étaient pas. Et c’est cela qui est considérable et qui ne va pas. Qui plus est, la proportion varie, évidemment, en fonction de la catégorie sociale, au détriment des ouvriers et des employés et au détriment des femmes. « Les faits, rien que les faits », conclut-il ce jour-là. Chiche !
[6] Cf Henri Sterdyniak : « Refuser la dégradation des retraites, maintenir et développer un système satisfaisant », page 16.