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Écologie, fiscalité, Covid : comment Biden ridiculise Macron
lundi 10 mai 2021, par
Il n’aura fallu que 100 jours au président américain pour faire de son homologue français un dirigeant politiquement vieux et dépassé. Un leader conservateur dans une Europe conservatrice.
Jusqu’au 20 janvier 2021, la vie était belle pour Emmanuel Macron. Facile, même ! Lui, le jeune leader de l’UE, le « champion de la Terre », n’avait qu’à arborer son sourire et son anglais de par le monde pour que les louanges pleuvent. Il faut dire qu’autour de la table, il y avait une sacrée bande. Imaginez un peu, dans un monde où les « populistes » pullulent, de Bolsonaro à Poutine en passant par la Chine ou l’Inde – sans compter les extrêmes qui poussent çà et là en Europe –, le « camp du bien », ce n’était plus les États-Unis ! Ni même le Royaume-Uni ! C’était la France (ou plutôt le « couple franco-allemand », mais Merkel ne fait plus rêver grand monde).
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Hélas, trois fois hélas, Donald Trump, le terrible, le pourfendeur de l’Accord de Paris sur le climat, le héraut du protectionnisme, a perdu. Et Joe est arrivé. Biden débarque en pleine crise mondiale. Crise sanitaire, bien sûr, mais aussi économique et sociale. Donald Trump ne gérait plus rien. L’Amérique s’est retrouvé un héros. Et, comme à chaque fois, ce héros ne va pas se contenter de sauver son pays, mais le monde, l’humanité toute entière !
Voilà pour le décor, un poil embelli… Mais c’est un peu ce qu’il se passe dans les esprits tordus de la Macronie, depuis la prise de fonction du 46ème président des États-Unis. Joe Biden a sorti les gros moyens. Des milliers de milliards de dollars sur la table, histoire d’amortir un minimum le choc du Covid. Une ambition en matière de fiscalité à faire pâlir les paradis fiscaux européens. Une reprise en main du lead sur l’écologie – alors qu’Emmanuel Macron enterre les propositions de la Convention citoyenne sur le climat et renie sa promesse de référendum à ce sujet. Et, désormais, un projet mondial de vaccination…
Hypocrisie française, honte internationale
En mai 2020, lors d’une de ses nombreuses allocutions, Emmanuel Macron ne tremble pas : « Ce vaccin, le jour où il sera découvert, sera un bien public mondial. » Un engagement répété par le président français en juin 2020. Or, on attend toujours qu’il commence à mener la bataille sur la levée de la propriété intellectuelle sur lesdits vaccins. Il est question de santé, de vie et de mort, mais c’est au niveau de l’Organisation mondiale du commerce que tout se joue.
Il va sans dire que les patrons des laboratoires qui produisent et vendent actuellement des vaccins sont contre – n’oublions pas qu’ils sont tous riches à ne plus que savoir en faire aujourd’hui et qu’ils n’auraient pas pu commencer à pouvoir imaginer l’être sans l’argent public français et américain... Mais qui est-ce qui bloque ? Entre autres, la France. À chaque fois qu’elle doit voter, elle vote contre la levée des brevets. D’ailleurs, c’était la ligne officielle du gouvernement. Voyez ces déclarations :
- Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l’Industrie, le 7 février 2021 : « Supprimer les brevets, c’est la fausse bonne idée. C’est pas le sujet aujourd’hui de blocage. »
- Agnès Pannier-Runacher, encore, le 17 mars 2021, livre cette masterclass sur Twitter : « Il suffirait donc de lever les brevets des labos pour que des doses de vaccins tombent du ciel par millions ? Chers Yannick Jadot, François Ruffin, Manon Aubry, députés communistes, ces déclarations traduisent une méconnaissance profonde de la réalité industrielle. Imaginons une minute que ces brevets soient levés : les usines européennes fabriquant de la substance active sont déjà mobilisées à plus de 100% de leur capacité. Elles tournent H24 pour fabriquer des milliards de vaccins cette année. Avoir la recette c’est bien, avoir les usines, c’est mieux. Imaginons maintenant, que soient réquisitionnées les usines de vaccins :
– Le vaccin contre la Covid-19 ne protège pas de la grippe, du tétanos, de l’hépatite B, ni de la rougeole, ces vaccins doivent donc aussi continuer à être produits pour protéger nos populations !
– Une usine, quand bien même déjà spécialisée en production de vaccins, ne se met pas à fabriquer des vaccins contre la Covid-19 du jour au lendemain. Un transfert de technologie, c’est jusqu’à 18 mois en temps normal, et ça nécessite des équipes nombreuses et formées !
– Et quand aucune usine n’a pas la capacité à produire industriellement la substance active des vaccins à ARN messager, comme c’est le cas en France, réquisitionner ne vous mènera pas bien loin. Par contre, travailler à créer ces sites comme nous le faisons sera bien plus utile.Pour produire le plus de doses, le plus vite possible, il faut commencer par choisir les plus gros sites pour ne pas disperser les équipes et l’énergie. C’est l’intérêt d’avoir des chaînes de production européenne. C’est pourquoi les sites de production démarrent les uns après les autres. Et parce que l’on doit tous être en ordre de bataille, les laboratoires comme Sanofi fabriquent pour la première fois pour leurs concurrents : Sanofi met à disposition ses capacités de production et ses équipes pour produire les vaccins BioNTech et Johnson&Johnson. Un brevet c’est ce qui permet de rémunérer les chercheurs, de financer des recherches qui n’aboutissent pas immédiatement, c’est des centaines de millions d’investissements, de la propriété intellectuelle, des savoir-faire, c’est en fait ce qui rend possible l’innovation d’après. Je terminerai par quelques chiffres :
– Mise au point du vaccin contre le virus Ebola : 5 ans (VS 10 mois contre le Covid)
– Construction d’une usine de vaccins : 5 ans
– Temps habituel d’industrialisation d’un vaccin : 12 à 30 mois (VS 4 mois pour le Covid-19). »
- Clément Beaune, secrétaire d’État aux relations européennes, le 30 mars 2021 : « Si lever les brevets avait une quelconque utilité aujourd’hui nous le ferions immédiatement. Mais ça ne sert à rien. »
- Cédric O, secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, le 5 mai 2021 : « La levée des brevets serait une fausse bonne idée. »
Puis arrive donc Joe Biden, qui annonce ce même 5 mai qu’en temps de crise extraordinaire, il faut prendre des mesures extraordinaires : il veut lever « temporairement » les brevets. Qu’en dit Macron le 6 mai ? « Je suis tout à fait favorable à ce qu’il y ait cette ouverture de la propriété intellectuelle. Vous m’avez entendu le dire il y a un an. » Oui, nous vous avons entendu. Et tout le problème est là. Un problème que nous n’avons cessé de mettre en lumière depuis 2017 : quand la Macronie dit blanc, elle fait noir.
Et l’Union européenne s’y met aussi. Des mots du commissaire européen Thierry Breton : « C’est une très bonne nouvelle que les États-Unis, désormais, se décident à faire comme l’Europe. » C’était exactement la ligne du gouvernement français après les annonces du plan de relance post-Covid de Biden, par la voix de Clément Beaune : « Le plan Biden de 1900 milliards, ce n’est pas un plan de relance. C’est d’abord un plan d’urgence et de rattrapage social de l’Europe. »
Macron, le Trump de Biden
Le tour de passe-passe est des plus simplistes : après quatre années de Trump, le simple fait que Biden fasse quelque chose le rapproche de l’UE. C’est un fait. Mais avec un détail qu’il ne faudrait pas éluder : désormais, les États-Unis sont devant. L’UE est (re)devenue une vieille chose en retard sur l’Histoire. Une congrégation de conservateurs, pour ne pas dire de réactionnaires. De quoi agacer au plus haut point Emmanuel Macron, qui ne peut même plus s’empêcher de le faire savoir...
Il est donc faux de dire que la France, incarnée par Emmanuel Macron, retourne sa veste sur la levée des brevets, qu’elle suit Biden désormais. La France ment. Voilà tout. D’ailleurs, Agnès Pannier-Runacher n’en démord pas : « Notre position est constante. » Ils disent pour mais font ce qu’il faut contre. Sandra Lhote-Fernandes d’Oxfam France nous l’expliquait très bien ici : « Emmanuel Macron a été à l’initiative de la création du mécanisme de solidarité international permettant l’accès au vaccin dans les pays les plus pauvres – la Covax –, et fait aujourd’hui partie des plus mauvais payeurs : la France donne 15% de ce qu’on attend d’elle, quand l’Allemagne en donne 130% et que les États-Unis mettent quatre milliards sur la table ! Emmanuel Macron n’est qu’un beau parleur. » Dans son incohérence ostensible, la France finira peut-être par rendre réels ses mensonges. Bienvenue dans le monde merveilleux du macronisme. Un monde où l’UE est plus alignée sur le Brésil de Bolsonaro que sur l’Amérique de Biden.
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Le pire dans tout cela, c’est que Joe Biden lui aussi joue sa partition de cynisme : les États-Unis continuent de bloquer les exportations de vaccins et de matières premières nécessaires à leur fabrication. Et si, finalement, Joe Biden était devenu plus fort qu’Emmanuel Macron, à son propre jeu, simplement en faisant ce qu’Emmanuel Macron faisait face à Donald Trump ?
Sur la fiscalité, même histoire. Joe Biden a mis sur la table un projet « révolutionnaire » : une hausse du taux d’imposition des bénéfices des entreprises américaines de 21 à 28% ainsi qu’un taux minimum d’imposition mondial pour les entreprises à hauteur de 21%. Là encore, Emmanuel Macron salue son homologue : « Je suis très heureux que les États-Unis nous suivent dans ce que nous proposons et qui était bloqué par eux depuis des années. » Là encore, Emmanuel Macron omet de rappeler que la France (comme l’OCDE) défend un taux minimum d’imposition de 12,5%. Et ne parlons même pas ici de la suppression de l’ISF, de la réforme de l’assurance-chômage ou de celle des retraites qui font du président français l’anti-Robin des bois du XXIème siècle.
Finalement, on pourrait résumer cette nouvelle relation franco-étatsunienne comme le tweete Benoît Hamon : « On se souvient d’Emmanuel Macron qui ringardisait Trump dans la communication. Aujourd’hui, le "classique" Joe Biden ringardise le "moderne" Macron pas dans la communication mais dans les actes : sur le social, la fiscalité des multinationales ou les brevets des vaccins. » Et dire que LREM veut s’inspirer de la campagne de Joe Biden pour 2022 !